Pour de véritables élections européennes

[ Notes ]


La plupart des personnes se plaignent de la distance qui existe prétendument entre les citoyens européens et les institutions communautaires. A les écouter, il faut croire que toute initiative européenne est, par nature, éloignée des préoccupations quotidiennes des gens ordinaires. Et qu'a contrario, un élu local saura traité correctement d'enjeux de portée internationale. Dans la droite file de cette assertion, les politiciens qui entendent renationaliser le débat mettent en avant leur solution : le scrutin proportionnel sur base régionale.  

Cependant, le découpage des 15 pays membres de l'Union sur la base de regroupement de plusieurs régions est loin d'être la panacée que l'on voudrait qu'elle soit. Car, en réalité, il ne faut pas confondre proximité et clientélisme. Un élu européen, quel que soit le mode de scrutin dont il est issu, pour peu qu'il fasse un travail parlementaire efficace est rapidement connu. Et cela n'a pas grand chose à voir avec le fait d'avoir bâti un réseau de personnes qui lui soient redevables pour l'obtention de telle ou telle faveur, en un mot, cela n'a rien avoir avec le clientélisme.

Ensuite, croire que la régionalisation du scrutin confèrera un surplus de notoriété est un souhait louable mais dénué de fondement. Le peu d'intérêt manifesté par les électeurs pendant la campagne électorale des élections régionales 98 en France, ainsi que la très forte abstention devraient servir collectivement de mise en garde. De fait, mise à part une ou deux personnes qui connaît on dans un Conseil régional ? Ces élus se sentent-ils plus redevables que les députés européens auprès de leurs électeurs ? 

Sur le fond, comment expliquer que la population retienne le nom de certains ? Et au-delà, quel est l'élément qui fait qu'un élu se sente redevable auprès de son électorat et en sens inverse qu'un électeur attende des comptes de son ou de ses représentants. Faut-il croire qu'on a plus de chance d'obtenir une faveur d'un député suivant son mode de désignation ? On le voit, le raisonnement ne tient pas. La redevabilité, c'est dans la tête de l'élu et de l'électeur qu'elle se noue, rarement ailleurs. 

Enfin, vouloir un mode de scrutin régional, cela ne ferait que déplacer le problème. Car la question est de savoir si les élections européennes permettent d'élire de véritables députés européens ou bien si l'opération doit consister plutôt dans la désignation des meilleurs champions des intérêts régionaux. Il ne faut pas douter des profondes modifications vers le bas qu'entraînerait une régionalisation du scrutin. Si tel devait être le cas, la campagne risquerait fort de déraper vers des luttes "à la Clochemerle" très éloignées des grands enjeux de la lutte contre le chômage au niveau européen, de l'entrée des pays de l'Europe du Centre-Est dans l'Union ou de l'établissement d'une véritable liberté de circulation des personnes au sein de l'UE. En 1994, la réalisation des 14 grands travaux transnationaux (TGV Paris-Berlin/Paris-Vienne/Vienne-Berlin, gazoducs, etc) étaient passés loin derrière des préoccupations politiciennes strictement nationales. Tient-on vraiment à rééditer cette mystification ? 

Malheureusement, il y a de fortes indications pour que cela soit le cas. Or, toutes les pistes n'ont pas encore été creusées pour faire des élections européennes un rendez-vous important pour les 370 millions d'habitants de l'Union et des députés européens des personnes écoutées et respectées.

Pourtant, la situation politique est propice. La crise politique dans laquelle la droite en Europe s'enfonce, l'insatisfaction d'un nombre croissant de citoyens européens à l'égard du déficit démocratique des institutions, sont autant d'éléments qui jouent en faveur d'une réforme claire et profonde du mode électoral.

Bien sûr, pour être mise en oeuvre, elle a besoin de rencontrer l'assentiment et la détermination d'un minimum de responsables politiques. A ce titre, une remise en cause des habitudes de chacun est nécessaire dans le traitement des informations touchant à des sujets européens, ainsi que dans la préparation et l'organisation pratique du scrutin. 

Faut-il rappeler qu'en réponse à une enquête d'Eurobaromètre mesurant à travers l'Union leur degré de satisfaction, une très grande majorité de citoyens - à l'exception notable de ceux du Danemark - se plaignaient de la faiblesse et de la médiocrité des informations délivrées par leurs médias nationaux sur l'actualité communautaire. Le traitement de l'information est pourtant un élément primordial de la formation de l'opinion publique. Les expériences positives telles L'Européen, Euronews ou Arte n'en sont qu'à leur phase de développement. Il est notable qu'elles comblent une indéniable lacune. Ainsi, une étude récente de la Commission européenne fait ressortir que 62% contre 36% de la population, en moyenne, ont le sentiment de ne pas être informés sur l'UE. Les pays périphériques de l'Europe présentant même un pic allant de 69% pour l'Italie à 75% pour le Portugal.

Il est assez paradoxal de constater que la presse s'attarde volontiers sur des sujets qui n'intéressent que très marginalement la population et reste en revanche parfaitement muette sur les aspects de la vie qui suscitent un véritable engouement [1]. 

Mais, l'information est un faux problème. En fait, c'est d'un bouquet de mesures pratiques que pourrait venir un début de solution. En effet, le non-cumul des mandats, la possibilité de panacher des listes présentées directement par les partis européens, l'organisation du srcutin sur un seul jour ou encore un vote d'investiture pour la Commission tout de suite après les élections, seraient autant d'éléments positifs de revivification du politique.

Evidemment, le nombre très important de divisions administratives dans certains pays et l'enchevêtrement des responsabilités ne manqueront pas de poser des problèmes. Cependant, la relation entre les citoyens et leurs élus s'en trouverait grandement clarifiée : des listes et des élections européennes pour des députés européens et un Exécutif responsable devant le Législateur. Cette architecture existe partout. Et pour cause, c'est la forme la plus rudimentaire de la démocratie. Elle est donc compréhensible par tous quel que soit le pays d'origine ou de résidence.

Alors, évidemment, les commentateurs diront que tant de changements sont impossibles en si peu de temps. Certains professeront même qu'à long terme de telles modifications ne verront jamais le jour car elles reviennent sur presque deux cents ans d'Etat-nation.

A ceux-là et à tous les autres, il est possible de rappeler qu'il y a dix ans à peine, personne n'aurait cru que l'URSS disparaîtrait et, avec elle, le Mur de Berlin, ou encore que l'Apartheid serait vaincu.

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NOTES

1. Sur une liste de 22 thèmes, les trois principaux sujets ayant retenu l'attention des Européens interrogés portaient sur :
- la lutte contre le chômage (62%),
- la protection de l'environnement (61%) et
- le système de protection sociale et sanitaire.